Camille. révision.......
Page 1 sur 1 • Partagez
Camille. révision.......
CAMILLE
Ce jour-là, j'étais parti seul vers mon ruisseau, dans la montagne. Ce mois de mai était doux et aucun nuage ne courait dans le ciel. La journée s'annonçait pour le mieux.
Comme d'habitude, je garai ma voiture sur le petit parking, le long de la Fouge, à deux pas du petit ponceau qui l'enjambe, tout contre le mur qui ceint l'abbaye abandonnée. Cette grande bâtisse, comme sertie dans la colline se dressait, majestueuse et calme, et semblait regarder le temps qui passe. Ce matin, je passais moi aussi sur le chemin.
Mon ver visitait, bien contre son gré je l'admets, tous les trous, toutes les caches, toutes les pierres susceptibles de servir de refuge à une belle fario. Dans l'eau claire, je pouvais voir le lombric qui se déroulait en suivant les veines du courant. Il était vraiment très attractif, mais aucune truite ne semblait intéressée. Qu'importe, j'étais au début de mon parcours, j'étais seul et surtout j'étais bien, très bien. Évidemment et comme toujours, la touche se produisit sans que je m'y attende. Je regardais mon ver, et une fraction de seconde plus tard, il avait disparu. Vive comme l'éclair, la truite avait regagné son refuge, emportant sa proie. Lorsque je ferrai, elle se battit en prenant le courant. Elle n'était pas très grosse, à peine la maille de 25cm, mais quelle vitalité, quelle force pour un si petit être ! Je la ramenai et la décrochai avec précaution avant de la rendre à son élément.
Le chemin monte légèrement pendant quelques centaines de mètres avant de prendre une inclinaison plus prononcée. Je connaissais tout de ma rivière et j'eus la joie de toucher quelques belles mouchetées qui retournèrent, comme la première dans leur domaine.
L'embranchement qui permet de suivre le cours d'eau donne accès à la forêt, celle qui monte à l'assaut de la montagne voisine. La rivière, pourtant agitée plus bas, prend des allures de torrent de plus en plus tumultueux au fur et à mesure que nos pas nous mènent vers la grande cascade du haut.
Le parcours devient, dans la forêt, plus accidenté, plus dur, mais il recèle des gouffres sans fond au sein desquels vivent sans doute les mères et les pères de toutes les truites de la rivière, de tous nos rêves de pêcheurs.
Je connaissais un de ces trous et j'y avais vu déjà, un poisson de belle taille. Était-ce le jour, enfin où je pourrais le piquer ? Plié en deux, à genoux, tous les sens dirigés vers mon but, je m'approchai et glissai doucement le ver dans une veine de courant favorable.
Je ne l'entendis pas arriver malgré le fouillis d'herbes folles, de ronces, de branches et d'orties. Il était derrière moi, à deux pas et me regardait en souriant. Je fus si surpris que je sursautai, tel un chat effrayé.
- «Je suis désolé, je vous ai fait peur» dit ce vieux bonhomme, coiffé d'un chapeau mou, vêtu d'une veste et d'un pantalon en gros velours noir. Le plus surprenant était sa canne en bambou, sans moulinet mais avec une réserve de fil enroulé dans la main.
Il était planté là et regardait successivement mon matériel, la rivière et la forêt alentours.
- «En effet, vous m'avez surpris, je ne vous ai pas entendu arriver»
- «C'est que je sais me déplacer dans ces bois. Je les parcours depuis si longtemps...»
J'avisai son bambou.
- «Il y a des années que je n'ai vu semblable gaule. Mon grand-père en avait une comme celle-ci».
- «Cette canne, jeune homme, a ramené des centaines et des centaines de truites, certaines de belles tailles. Je ne peux me résoudre à l'abandonner. Un vieil homme comme moi n'aime pas changer ses habitudes.»
Nous discutâmes agréablement quelques minutes, comme deux pêcheurs qui se rencontrent, comme deux pêcheurs que nous étions.
Je poursuivis mon périple, jusqu'au canal où je savais une mémère. Ce canal est juste un endroit où le ruisseau glisse entre des rochers alignés qui font penser à un canal. Absorbé par ma pêche, j'avais oublié ma singulière rencontre. Une seule chose comptait, j'avais rendez-vous avec une truite, sans doute énorme. La forêt, à cet endroit est très dense et on ne découvre la rivière qu'au dernier moment. J'avais replié ma canne et je progressais sans bruit, profitant au maximum du couvert offert par les frondaisons. Cette fois, c'était sûr, j'allais l'avoir.
Quelle ne fût pas ma surprise, en m'approchant, de voir mon pêcheur au bambou, debout au bord de l'eau, scrutant le courant, le fond et la petite cascade qui chantait aujourd'hui, mais grondait par hautes eaux.
Je fus contrarié en le voyant. Il m'avait cassé mon coup. Sa silhouette sur l'eau avait sans doute prévenu toutes les truites présentes.
- «Tiens, vous êtes déjà là ?»
Je ne comprenais pas comment ce vieil homme était monté aussi vite. Il était vrai que pour ma part, j'avais pêché tout le long et qu'il était possible qu'il m'eût précédé.
- «Oui, je suis monté directement. Je t'ai dépassé au petit éboulis du bas, mais tu étais si concentré que tu ne m'as pas remarqué.»
Ça se tenait.
- «Au fait, ajouta t' il, as-tu touché quelque chose?»
- «Oui, quelques petites qui ont joué avec mon ver, mais rien de bien sérieux.»
- «Vois-tu, me dit-il en pointant le bout de sa canne en direction de la petite chute, là-dessous s'ouvre un trou énorme. On ne peut pas le voir, mais il existe, crois-moi. Dans cette cache vit une truite si grosse qu'aucune canne ne peut lui résister. C'est sans doute la plus grosse de la rivière. Plusieurs kilos, à coup sûr. Je l'ai piqué plusieurs fois, mais elle m'a toujours tout cassé. Je sais qu'elle est là, je sais qu'elle nous voit, mais je sais aussi qu'elle ne sortira pas. Tu peux traîner tout ce que tu veux devant sa fenêtre, elle est trop rusée. Elle ne sortira plus. Nous nous connaissons par cœur, elle et moi. C'est une vieille histoire, une histoire d'amour, vois-tu»
Sur ces mots, mon étrange compagnon, après m'avoir souhaité une bonne journée, reprit la minuscule trace qui serpente entre les arbres et redescendit le long du torrent.
Comme je m'y attendais, je n'eus pas la moindre touche dans le canal, et les quelques truitelles qui me firent le plaisir de se laisser prendre ne me firent pas oublier le monstre qui hante la petite cascade.
Je suis retourné souvent à mon ruisseau. Jamais je ne revis le bambou de ce vieux pêcheur. Parfois, il me semble que l'on m'observe, mais ce ne sont que les idées engendrées par l'environnement sauvage qui fait resurgir les peurs ancestrales.
Plus tard, alors que je discutais avec un habitant du vieux village en contre-bas, il m'expliqua qu'il y a longtemps, un homme, qui était employé à l'abbaye, fût littéralement envoûté par une truite vivant là, dans un grand trou. Il y passait toutes ses journées, tôt le matin jusqu'à tard le soir, par n'importe quel temps et à longueur d'années. Oui, à cette époque, la pêche n'était pas règlementée comme aujourd'hui. Il était obsédé par sa capture et plus rien ne comptait pour lui.
Camille, il s'appelait Camille. Quand il est mort, il a voulu être enterré avec sa tenue de pêcheur : son vieux chapeau, sa veste et son pantalon de velours noir, et surtout sa canne à pêche.
Une vieille canne en bambou.
_________________
Alain
Seules les eaux calmes reflètent les étoiles.
fouge01 Membre d'honneur - Date d'inscription : 17/02/2015
Re: Camille. révision.......
Bonjour Alain
Le retour de Camille
Il fallait bien te douter qu'il reviendrait te voir, car lui aussi a été surpris la première fois qu'il est venu à ta rencontre, ou plutôt ou il t'attendait sur son rocher
Cette histoire, mais es-ce une histoire, chaque pêcheur peut la vivre en réel, mais pour cela il faut avoir l'âme d'un poète
Et on peut dire que pour toi c'est réussi
Merci pour ce moment de détente au bord de La Fouge.
A+
Le retour de Camille
Il fallait bien te douter qu'il reviendrait te voir, car lui aussi a été surpris la première fois qu'il est venu à ta rencontre, ou plutôt ou il t'attendait sur son rocher
Cette histoire, mais es-ce une histoire, chaque pêcheur peut la vivre en réel, mais pour cela il faut avoir l'âme d'un poète
Et on peut dire que pour toi c'est réussi
Merci pour ce moment de détente au bord de La Fouge.
A+
pappy-jeff Administrateur - Date d'inscription : 15/02/2015
Re: Camille. révision.......
Un magnifique moment de lecture que j'ai savouré et qui m'a rappelé un moment de ma jeunesse au bord de ma belle dranse de Morzine. Merci
papi claude + de 50 posts - Date d'inscription : 02/03/2015
Re: Camille. révision.......
Merci à vous, mes deux papys. Votre témoignage me va droit au cœur.
_________________
Alain
Seules les eaux calmes reflètent les étoiles.
fouge01 Membre d'honneur - Date d'inscription : 17/02/2015
Re: Camille. révision.......
Alain ,
Ta plume m'a apporté ce magnifique texte que je ne connaissais pas..
J'ai pris le temps de le savourer , et quel bonheur ....
Ta plume m'a apporté ce magnifique texte que je ne connaissais pas..
J'ai pris le temps de le savourer , et quel bonheur ....
Beaubery + de 1000 posts - Date d'inscription : 06/06/2016
Re: Camille. révision.......
Trop fort le "Pays", il faudrait faire une compilation de toutes tes proses sur le forum.
Encore bravo Alain
Encore bravo Alain
dom'ain + de 1000 posts - Date d'inscription : 02/03/2015
Re: Camille. révision.......
Belle révision Alain; dès qu'on attaque la lecture on est obligé d'aller jusqu'au bout. on se délecte, tu nous entraînes dans ton histoire avec le plus grand bonheur c'est un vrai régal.
RV74 Administrateur - Date d'inscription : 01/03/2015
Re: Camille. révision.......
Merci Alain, un texte qui nous tiens en haleine, tu a l'art de l'écriture et tout comme le dit si bien René, ça donne envie d'aller jusqu'au bout dés la 1ère lecture
_________________
Un vrai secret est un secret gardé pour soi. On fait toujours assez confiance à un ami pour le lui confier, mais lui aura assez confiance en un de ses amis pour en faire de même et ainsi de suite. Ainsi un secret ne vous appartient plus et se répand très vite.
Mon AAPPMA : Les pêcheurs du haut Guiers
Mes Blogs :
Truites & Compagnies
Une nymphe pour pêcher
Léo + de 1000 posts - Date d'inscription : 03/03/2015
Kenat + de 500 posts - Date d'inscription : 09/03/2016
Re: Camille. révision.......
Aller, hop, je n'attends pas pour vous proposer la prose promise.
J'espère que vous apprécierez ces quelques lignes.
Le temps est beau. Beau mais un peu frais ce matin en Chartreuse. Je pars avec Dominique, mon pays, un gars de l'Ain. Nous avons décidé, la veille, d'explorer un ruisseau qui coule à deux pas du camping. Au fond de la vallée, nous découvrons notre petit cours d'eau. L'endroit qui nous paraît le plus attrayant est contigüe à une ferme. Nous stationnons nos voitures, avec l'accord du maître des lieux, tandis qu'un chien chahute avec un chat. Ce dernier, qui vient renifler ma boite de vers, est tout humide et "machouillé"…
Je rejoins Dominique dans le pré. Quelques jolies caches sont bordées par de hautes herbes. Une passerelle rustique barre le ruisseau qui sort de la forêt.
Le ru est calme, mais pas immobile. De petits courants jouent avec les pierres, les contournent, les enjambent, les sautent pour se rejoindre et se réunir, le temps d'une courte pause, dans un profond qui ne l'est pas vraiment, avant de repartir vers d'autres vallées, d'autres décors, et finir vers la mer, but ultime de toute eau vive, voire vivante.
Ces modestes profonds, parfois guère plus grands qu'une cuvette ménagère recèlent de belles surprises. Le premier que je visite m'offre une truite magnifique. D'ailleurs, toutes les truites ne le sont elles pas ? La bête, bien que ne mesurant qu'une vingtaine de centimètres, s'est battue comme si elle approchait la livre... En Chartreuse, les truites sont particulièrement bagarreuses.
La pente se redresse peu à peu. Il nous faut bien anticiper pour repérer les bons postes, enfin, ceux que nous considérons comme bons. D'énormes rochers dévient le courant et créent, ça et là, de beaux refuges pour nos belles. Je jette mon ver en amont d'un roc monumental, dans le courant qui glisse doucement le long de la pierre. La fenêtre est étroite. Buissons dessous, arbres dessus... Plouf!!! mon ver est bien arrivé. Aussitôt, je perçois le "toc", signal caractéristique du poisson qui mord. Inutile d'attendre top longtemps. Je ferre. Mon scion se plie, l'eau bouillonne, mon fil chante. Ca y est, j'ai piqué la truite de l'année. Elle monte vers la surface. Je la vois... Ce n'est pas tout à fait une truitelle, mais elle ne dépasse surement pas la maille de vingt trois centimètres. Elle est accrochée, mais la mettre au sec est une toute autre histoire... Je recule doucement sur la plage derrière moi. Je mouline pour raccourcir la bannière. A l'autre bout, la truite tire autant qu'elle peut sur le fil. Il faudrait qu'elle sorte de l'eau. Une fraction de seconde, je relâche la tension sur la ligne, et hop, la belle regagne son logis avec un claquement de la caudale, comme pour me signaler que c'est elle qui a remporté notre rencontre... Dépit, frustration, colère même m'envahissent simultanément, très vite remplacés par un sentiment heureux. J'ai mené un beau combat, et la truite a joué son va-tout de la plus belle des manières.
Je continue la montée. Celle-ci s'avère de plus en plus rude, et le ruisseau devient de plus en plus intéressant. Des courants, des trous encore plus vastes, encore plus profonds, encore plus difficiles d'accès me font rêver de poissons aussi énormes que combatifs. La progression est dure et fatigante. Qu'importe, c'est vraiment le type de parcours qui me plaît. Ma pêche est agrémentée de nombreuses touches, de quelques ratés, mais aussi de belles prises piquées au bord de la gueule et aussitôt rendues à leur élément, mais pas le "monstre" qui nage dans mes rêves...
Dominique m'a rejoint. Lui aussi a capturé de beaux poissons, mais il est tombé, sans mal heureusement, si ce n'est pour ses cuissardes et sa canne qu'il a cassée. Il redescend. Inutile de continuer, surtout avec une botte ouverte...
Je me retrouve seul dans la forêt. Bien que ne connaissant pas l'endroit, je ne ressens aucune crainte. Il est vrai que je connais quand même bien ce type de milieu. Le ruisseau est barré par des blocs de plus en plus gros. Les cascades deviennent de plus en plus fortes, la pêche est de plus en plus sportive. Bien que le site soit particulièrement favorable à la présence de belles mouchetées, et je pense de belles bêtes, je ne perçois plus de touches. Les poissons sont rentrés et ne veulent plus ressortir... enfin pas pour le moment. J'entends les voitures et les motos qui circulent sur la route, juste au-dessus de moi, mais je ne les vois pas. La canopée est trop dense. J'escalade, je descends, je glisse, je rampe sous les troncs abattus, ou je les enjambe, je tombe, je pêche, je m'accroche, je casse, je répare, rien en fait qui puisse me différencier d'un autre pêcheur de truites.
Ayant escaladé ce versant qui n'en finissait pas, juste au-dessus du chaos rocheux qui dessine, dans la pente, une cascade bouillonnante, je découvre une clairière. Le sol est plat, les arbres sont clairsemés et le ruisseau se sépare en deux bras. Je pique un beau poisson à leur embranchement, juste dans le calme. Les affaires reprennent... Un autre pêcheur me précède. Je lui trouve une allure familière. Peut-être est-ce un des participants à notre rencontre "Nature & Passions"...
Je m'approche...
Il tient une canne à la main. Assis sur un rocher, il scrute le courant. Il me tourne le dos, et sans me regarder, il dit.
"- Jeune pêcheur, tu dois être surpris de me trouver là..."
"- Camille? Je ne comprends pas, je..."
J'étais sidéré. Comment Camille, le vieux pêcheur de la Fouge pouvait-il être ici, avec moi, en Chartreuse? Il est vrai que son état de "fantôme" peut lui permettre beaucoup de choses assez surprenantes...
Il enchainât...
"- Jamais je n'ai lâché ma canne, ma vieille canne en bambou que tu connais bien maintenant. Tu es venu pêcher dans ma Fouge, dans notre Fouge, et tu m'as redonné vie, si on peut l'appeler ainsi. Pourquoi toi, je l'ignore. Peut être la façon dont tu regardes ruisseau et la montagne, le ciel et les arbres, les petits animaux et surtout les truites. Oui, les truites qui m'ont hanté durant toute ma vie et qui continuent encore..."
Il s'interrompt et son regard replonge dans l'eau vive, à ses pieds. Moi, je ne bouge pas. Je le regarde. Je crois rêver. Je suis même rassuré de le savoir avec moi.
"- Jeune pêcheur, je suis un peu la projection de ce que tu ressens au bord de l'eau. En fait, nous sommes pareils, toi et moi. A chacune de tes visites, tu l'ignores mais je t'accompagne. Je pêche à travers toi et je te remercie pour ça... Peut-être nous rencontrerons nous encore, qui sait..."
Dans les arbres, au-dessus de nous, un grand oiseau s'est posé. Je détourne les yeux un court instant pour le regarder, et je sais parfaitement que Camille ne sera plus installé sur le rocher où je l'ai rencontré...
J'ai arrêté là ma sortie de pêche. Il était d'ailleurs largement l'heure de rentrer.
Je suis redescendu à travers la forêt, et de temps en temps, je me suis retourné. Peut-être serait il encore derrière moi.
Chacune de nos rencontres s'est terminée ainsi.
Je n'ai jamais pu lui dire "au revoir"...
J'espère que vous apprécierez ces quelques lignes.
[size=32][size=32]EN CHARTREUSE[/size][/size]
Le temps est beau. Beau mais un peu frais ce matin en Chartreuse. Je pars avec Dominique, mon pays, un gars de l'Ain. Nous avons décidé, la veille, d'explorer un ruisseau qui coule à deux pas du camping. Au fond de la vallée, nous découvrons notre petit cours d'eau. L'endroit qui nous paraît le plus attrayant est contigüe à une ferme. Nous stationnons nos voitures, avec l'accord du maître des lieux, tandis qu'un chien chahute avec un chat. Ce dernier, qui vient renifler ma boite de vers, est tout humide et "machouillé"…
Je rejoins Dominique dans le pré. Quelques jolies caches sont bordées par de hautes herbes. Une passerelle rustique barre le ruisseau qui sort de la forêt.
Le ru est calme, mais pas immobile. De petits courants jouent avec les pierres, les contournent, les enjambent, les sautent pour se rejoindre et se réunir, le temps d'une courte pause, dans un profond qui ne l'est pas vraiment, avant de repartir vers d'autres vallées, d'autres décors, et finir vers la mer, but ultime de toute eau vive, voire vivante.
Ces modestes profonds, parfois guère plus grands qu'une cuvette ménagère recèlent de belles surprises. Le premier que je visite m'offre une truite magnifique. D'ailleurs, toutes les truites ne le sont elles pas ? La bête, bien que ne mesurant qu'une vingtaine de centimètres, s'est battue comme si elle approchait la livre... En Chartreuse, les truites sont particulièrement bagarreuses.
La pente se redresse peu à peu. Il nous faut bien anticiper pour repérer les bons postes, enfin, ceux que nous considérons comme bons. D'énormes rochers dévient le courant et créent, ça et là, de beaux refuges pour nos belles. Je jette mon ver en amont d'un roc monumental, dans le courant qui glisse doucement le long de la pierre. La fenêtre est étroite. Buissons dessous, arbres dessus... Plouf!!! mon ver est bien arrivé. Aussitôt, je perçois le "toc", signal caractéristique du poisson qui mord. Inutile d'attendre top longtemps. Je ferre. Mon scion se plie, l'eau bouillonne, mon fil chante. Ca y est, j'ai piqué la truite de l'année. Elle monte vers la surface. Je la vois... Ce n'est pas tout à fait une truitelle, mais elle ne dépasse surement pas la maille de vingt trois centimètres. Elle est accrochée, mais la mettre au sec est une toute autre histoire... Je recule doucement sur la plage derrière moi. Je mouline pour raccourcir la bannière. A l'autre bout, la truite tire autant qu'elle peut sur le fil. Il faudrait qu'elle sorte de l'eau. Une fraction de seconde, je relâche la tension sur la ligne, et hop, la belle regagne son logis avec un claquement de la caudale, comme pour me signaler que c'est elle qui a remporté notre rencontre... Dépit, frustration, colère même m'envahissent simultanément, très vite remplacés par un sentiment heureux. J'ai mené un beau combat, et la truite a joué son va-tout de la plus belle des manières.
Je continue la montée. Celle-ci s'avère de plus en plus rude, et le ruisseau devient de plus en plus intéressant. Des courants, des trous encore plus vastes, encore plus profonds, encore plus difficiles d'accès me font rêver de poissons aussi énormes que combatifs. La progression est dure et fatigante. Qu'importe, c'est vraiment le type de parcours qui me plaît. Ma pêche est agrémentée de nombreuses touches, de quelques ratés, mais aussi de belles prises piquées au bord de la gueule et aussitôt rendues à leur élément, mais pas le "monstre" qui nage dans mes rêves...
Dominique m'a rejoint. Lui aussi a capturé de beaux poissons, mais il est tombé, sans mal heureusement, si ce n'est pour ses cuissardes et sa canne qu'il a cassée. Il redescend. Inutile de continuer, surtout avec une botte ouverte...
Je me retrouve seul dans la forêt. Bien que ne connaissant pas l'endroit, je ne ressens aucune crainte. Il est vrai que je connais quand même bien ce type de milieu. Le ruisseau est barré par des blocs de plus en plus gros. Les cascades deviennent de plus en plus fortes, la pêche est de plus en plus sportive. Bien que le site soit particulièrement favorable à la présence de belles mouchetées, et je pense de belles bêtes, je ne perçois plus de touches. Les poissons sont rentrés et ne veulent plus ressortir... enfin pas pour le moment. J'entends les voitures et les motos qui circulent sur la route, juste au-dessus de moi, mais je ne les vois pas. La canopée est trop dense. J'escalade, je descends, je glisse, je rampe sous les troncs abattus, ou je les enjambe, je tombe, je pêche, je m'accroche, je casse, je répare, rien en fait qui puisse me différencier d'un autre pêcheur de truites.
Ayant escaladé ce versant qui n'en finissait pas, juste au-dessus du chaos rocheux qui dessine, dans la pente, une cascade bouillonnante, je découvre une clairière. Le sol est plat, les arbres sont clairsemés et le ruisseau se sépare en deux bras. Je pique un beau poisson à leur embranchement, juste dans le calme. Les affaires reprennent... Un autre pêcheur me précède. Je lui trouve une allure familière. Peut-être est-ce un des participants à notre rencontre "Nature & Passions"...
Je m'approche...
Il tient une canne à la main. Assis sur un rocher, il scrute le courant. Il me tourne le dos, et sans me regarder, il dit.
"- Jeune pêcheur, tu dois être surpris de me trouver là..."
"- Camille? Je ne comprends pas, je..."
J'étais sidéré. Comment Camille, le vieux pêcheur de la Fouge pouvait-il être ici, avec moi, en Chartreuse? Il est vrai que son état de "fantôme" peut lui permettre beaucoup de choses assez surprenantes...
Il enchainât...
"- Jamais je n'ai lâché ma canne, ma vieille canne en bambou que tu connais bien maintenant. Tu es venu pêcher dans ma Fouge, dans notre Fouge, et tu m'as redonné vie, si on peut l'appeler ainsi. Pourquoi toi, je l'ignore. Peut être la façon dont tu regardes ruisseau et la montagne, le ciel et les arbres, les petits animaux et surtout les truites. Oui, les truites qui m'ont hanté durant toute ma vie et qui continuent encore..."
Il s'interrompt et son regard replonge dans l'eau vive, à ses pieds. Moi, je ne bouge pas. Je le regarde. Je crois rêver. Je suis même rassuré de le savoir avec moi.
"- Jeune pêcheur, je suis un peu la projection de ce que tu ressens au bord de l'eau. En fait, nous sommes pareils, toi et moi. A chacune de tes visites, tu l'ignores mais je t'accompagne. Je pêche à travers toi et je te remercie pour ça... Peut-être nous rencontrerons nous encore, qui sait..."
Dans les arbres, au-dessus de nous, un grand oiseau s'est posé. Je détourne les yeux un court instant pour le regarder, et je sais parfaitement que Camille ne sera plus installé sur le rocher où je l'ai rencontré...
J'ai arrêté là ma sortie de pêche. Il était d'ailleurs largement l'heure de rentrer.
Je suis redescendu à travers la forêt, et de temps en temps, je me suis retourné. Peut-être serait il encore derrière moi.
Chacune de nos rencontres s'est terminée ainsi.
Je n'ai jamais pu lui dire "au revoir"...
Peut-être, vous aussi, vous avez un "ami" qui vous accompagne à chacune de vos sorties. Je suis persuadé que même si vous n'en êtes pas conscients, vous le sentez.
En tous cas, à chacune de mes sorties, j'ai une pensée pour Camille, ce vieux pêcheur sorti tout droit de mon imagination.
En fait, l'ai-je vraiment créé? J'ai de plus en plus de doutes.........
_________________
Alain
Seules les eaux calmes reflètent les étoiles.
fouge01 Membre d'honneur - Date d'inscription : 17/02/2015
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
|
|